Cépages “modestes” ou rares : la Savoie, modèle de terroir à cépages locaux.

Dans leur immense diversité, les plants de vigne – les cépages – se distinguent entre eux par leur caractéristiques propres (feuilles, grappes), par leurs aptitudes particulières à s'adapter à un terroir (climat, sol) et à ses traditions historiques et culturelles, et enfin par leur génie singulier à se traduire en vins de caractère : les cépages sont les véritables interprètes d'un lieu et des hommes qui les travaillent et en font du vin.

Il existe dans le monde 9600 cépages répertoriés (Pierre Galet, Dictionnaire encyclopédique des cépages, 2015, Éditions Libre & Solidaire), célèbres ou méconnus, voire non pratiqués. Aujourd’hui, sur les quelque 450 cépages de cuve originels des vignobles français, 300 ont fini par être éliminés ou mis au rencart, et sur les 150 en usage, 8 “grands” cépages occupent 80 % des vignes, souvent loin de leur terre de prédilection. Une simplification d'autant plus massive que les “grands” cépages sont eux-mêmes réduits à une sélection de quelques-uns de leurs “clones” choisis en fonction d’un ou deux critères de performance.

À la suite des destructions dues aux grandes maladies de la vigne du XIXe siècle en Europe, notamment le phylloxera, la reconstitution du vignoble fut longue et laborieuse. Finalement, en France, dans les années 70-80, à l'initiative de l'INAO (l'Institut National des Appellations d'Origine, qui gouverne les AOC), les cépages dits “tolérés” sont arrachés et les cépages dits “autorisés” sont massivement remplacés par les cépages dits “recommandés”. Comme l'a écrit l’ampélographe Pierre Galet, « c’est la tendance vers l’uniformisation de l’encépagement (…) C’est donc à terme un appauvrissement du matériel génétique ».

Contre cette uniformisation et cet appauvrissement induits par la “rationalité” économique de la viticulture intensive, on assiste, sous l’impulsion de vignerons décidés à ne pas accepter dans leur vignoble la domination des “grands” cépages, à un retour des cépages autochtones, “modestes” ou oubliés, et à la reconquête de nombre de coteaux abandonnés. Au-delà de la défense d’un patrimoine qui ne doit rien au simple hasard mais tout à l’histoire, au sens de l’observation et au savoir-faire de nombreuses générations de vignerons du passé, c’est la conviction que la biodiversité est une richesse indispensable à la complexité des vins qui anime les vignerons aujourd’hui en quête des cépages propres à leur terroir et porteurs d'une expression originale et authentique.

Le vignoble de Savoie est un exemple de préservation de l'encépagement autochtone. Peut-être en raison d'une situation géographique excentrée qui l'a longtemps tenu à l'écart des modes – avec leurs avantages et leurs contraintes… –, il ne s'est jamais départi de ses cépages traditionnels, malgré la pression née de certaines périodes plus difficiles, avec des vins de médiocre qualité. Jacquère, altesse et mondeuse y règnent en maîtres, avec une qualité aujourd'hui fortement rénovée, sans omettre le chasselas de la rive Sud du lac Léman, le gringet de la vallée de l'Arve, le bergeron de Chignin ou le gamay propre à la Chautagne.

Plus récemment, certains cépages oubliés, parfois miraculeusement retrouvés, connaissent un début de renaissance, comme le persan, la mondeuse blanche ou grise, la douce noire, le joubertin, entre autres…