Le renouveau des hybrides

La notion de cépages hybrides et la création de très nombreuses variétés de ce type de nouveaux cépages sont nées de la nécessité de sauver les vignes traditionnelles européennes (espèce Vitis vinifera) attaquées par les maladies cryptogamiques (oïdium, mildiou…) et décimées par le phylloxera à la fin du XIXe siècle. Aujourd'hui s'y ajoute la nécessité de réduire les traitements phytosanitaires et de s'adapter au changement climatique.

Fin XIXe début XXe siècle, le salut du vignoble européen est venu du recours aux cépages américains (espèces Vitis berlandieri, riparia, rupestris, labrusca…), qui résistent aux dommages du phylloxera mais aussi des maladies de la vigne, pour créer des hybrides interspécifiques (entre espèces) : soit des hybrides dits “producteurs directs” (HPD) – c'est-à-dire aptes à être plantés pour produire des raisins – issus du croisement de cépages d'espèces américaines entre eux (tels le noah ou le clinton) ou du croisement de cépages américains avec des cépages européens (tel le baco blanc, le seul hybride toujours présent dans une appellation française, celle de l'Armagnac), soit des hybrides conçus non comme producteurs directs mais comme porte-greffes pour la replantation des cépages européens.

Avec l'ambition de marier résistance des cépages américains et qualités des cépages européens, ce sont les porte-greffes qui vont s'imposer comme la voie la plus performante pour la reconstitution des vignobles au détriment des HPD, qui ont été désavoués du point de vue gustatif. Dans les faits, six hybrides historiques (noah, clinton, isabelle, othello, jacquez, herbemont) ont été interdits à partir de 1927 dans les vins d'appellation, et une vingtaine d'autres y seront “autorisés” (rayon d'or, ravat blanc, plantet, villard noir et blanc, etc.) avant d'en être eux aussi exclus : une condamnation qui a jeté, en France, un discrédit durable, voire définitif, sur les hybrides. Quoi qu'il en soit, fin XIXe début XXe siècle, il y aura des milliers d'hybrides créés par des hybrideurs français devenus célèbres soit pour leurs HPD (tel Albert Seibel, 1844-1936) soit pour leurs porte-greffes (tel Georges Couderc, 1850-1928).

Néanmoins, face à l'inévitable affaiblissement d'une plante multipliée par voie végétative (non sexuée : bouturage, greffage, marcottage) et à la pression toujours plus grande des ravageurs et maladies de la vigne, la recherche de cépages résistants a continué et s'est développée à partir des années 60-70.  Avec pour résultat des obtentions aux caractères de plus en plus affinés, issues de croisements de cépages européens et de vignes américaines voire asiatiques (Vitis amurensis) où la composante Vitis vinifera est toujours plus affirmée et la composante non-Vitis vinifera réduite au minimum indispensable à la capacité de résistance. Ces travaux sont à mettre au crédit de chercheurs allemands et suisses principalement, créateurs de cépages comme le bronner, le souvignier gris, le solaris, le villaris, le cabernet jura, etc.

À cette même époque, en France, l'INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) s'oriente vers les “métis” (hybrides issus de croisements uniquement intraspécifiques de Vitis vinifera, tels le caladoc et le marselan), et persiste à tenir pour quasi hérétiques les hybrides. Quasi hérétique aussi un scientifique comme Alain Bouquet, chercheur pionnier – mais placardisé – de l'INRA qui est parvenu à créer des cépages résistants à l'oïdium et au mildiou par croisement avec Muscadinia rotundifolia, une espèce sauvage américaine non Vitis : ce n'est qu'après sa mort (2010) que ses travaux ont été reconnus, et les variétés “Bouquet” participent aujourd'hui à de nombreuses parcelles expérimentales et – ironie du sort – à la création des cépages dits “ResDur” (Résistance Durable) de l'INRA (floréal, voltis, artaban, vidoc et autres, désormais agréés). Les sélectionneurs italiens s'inscrivent également dans une démarche de nouveaux cépages résistants originaux, tels les sauvignons krietos et rythos, le cabernet volos, le pinot kors ou encore le volturnis. Dans ce contexte d'un intérêt fortement renouvelé pour les hybrides est née au début des années 2000 en Suisse une association internationale pour la promotion des “cépages résistants aux champignons”, “pilzwiderstandsfähige” en allemand d'où l'abréviation PIWI qui signe aujourd'hui de nombreuses nouvelles variétés de vigne et les vins qui en proviennent. Reste que c'est dans la durée que le style des vins et leur expression de terroir pourront être véritablement évalués.

La question des hybrides est à la croisée de trois impératifs majeurs actuels : réduction des traitements phytosanitaires, adaptation au changement climatique et amélioration de la qualité, et les solutions proposées par les nouvelles obtentions répondent en partie aux multiples interrogations qui agitent le monde du vin (vignerons, pépiniéristes, sélectionneurs, chercheurs, œnologues, dégustateurs, etc…). On citera Valentin Morel, vigneron jurassien défenseur des vins “nature” et des hybrides (en plus de ses cépages traditionnels), auteur d'un ouvrage qui aborde courageusement le sujet (Un autre vin, Éditions Flammarion, 2023) et co-fondateur en 2023 de l'association Vitis Batardus Liberata avec d'autres vignerons comme Lilian Bauchet (Beaujolais) : pour lui « les hybrides permettent une viticulture moins interventionniste, plus douce, davantage en adéquation avec la vision du vin naturel que nous défendons », et les diverses résistances portées par les hybrides sont « des facteurs permettant un changement de paradigme de la viticulture ».